Les performances des universités et des écoles de commerce se rapprochent-elles ?
Singularité française, l’enseignement supérieur en économie et gestion peut être dispensé dans les universités ou dans des écoles de commerce. Quelles sont les différences sur le marché du travail entre ces voies ? Quelle filière possède le meilleur rapport entre coût et bénéfice ?
Le paysage français de l’enseignement supérieur a profondément évolué depuis le début des années 2000, dans un contexte de massification des études longues, de réforme LMD et de mise en concurrence des établissements. Ainsi, l’accès au niveau master (bac+5), autrefois réservé à une minorité, s’est élargi, mais selon des voies différenciées aux logiques parfois divergentes (académiques, professionnalisantes, ou tournées vers la recherche)
Dans le champ « droit économie et gestion », deux modèles dominent : d’un côté, les écoles de commerce, sélectives et payantes, associées à la professionnalisation et au prestige ; de l’autre, les masters universitaires, publics, plus accessibles et souvent perçus comme plus académiques.
Une fonction de signal
Les écoles de commerce bénéficient jusqu’à présent d’une forte attractivité, en partie grâce à leur fonction de signal. Le diplôme transmet une image valorisée du diplômé. Les classements, omniprésents, renforcent cet effet de signal auprès des étudiants comme des employeurs. Les modalités de sélection (concours, classes préparatoires, admissions sur dossier) consolident l’idée d’une excellence scolaire synonyme de réussite professionnelle.
Le rôle des associations étudiantes et des réseaux d’anciens, activement cultivés par les écoles, contribue également à l’insertion. Ces réseaux, loin d’être anecdotiques, sont des instruments stratégiques de réputation maintenant utilisés par certaines universités.
Des raisons d’investir
Ces éléments peuvent expliquer pourquoi tant de familles acceptent d’investir plusieurs milliers d’euros. Ce « prix » génère des inégalités d’accès, même si certaines de ces écoles ont su profiter du système de l’alternance pour aider, indirectement, les étudiants financièrement en leur permettant d’être rémunérés pendant leurs études.Il peut aussi y avoir des exonérations partielles des frais d’inscription sur critères sociaux.
Le master universitaire constitue une autre voie jugée pertinente par de nombreux étudiants. D’abord, les coûts sont faibles : 254 euros annuels en 2025. Reposant par ailleurs majoritairement sur le dossier du candidat, la sélection reste limitée puisque tout étudiant titulaire d’une licence doit pouvoir obtenir une place. Cela permet une ouverture plus large, quoique parfois perçue comme un manque de lisibilité sur le marché du travail.
Une offre restructurée
Depuis quelques années, de nombreuses universités ont restructuré leur offre, développant des parcours sélectifs, des doubles diplômes, et des spécialisations notamment dans des domaines en tension. Cette diversification, intégrant la notion de projet professionnel, a ouvert des débouchés professionels, notamment via l’alternance, les partenariats d’entreprises et la recherche appliquée.
Cette transformation de l’offre de formation des universités fait que, contrairement aux idées reçues, certains masters offrent des débouchés souvent développés dans le cadre de stratégies d’ancrage territorial ou sectoriel et permettent aux étudiants d’acquérir des compétences directement mobilisables sur le marché du travail.
Quelles performances respectives ?
Dans ce contexte, où les diplômés des deux filières, écoles ou universités, peuvent prétendre aux mêmes emplois, la question de la performance respective des formations se pose en termes de capital humain acquis et de rendement. Notre travail de recherche analyse l’insertion professionnelle des diplômés du sous-domaine « sciences économiques, sciences de gestion et communication » dans le domaine Droit, Économie, Gestion, en comparant universités et écoles. Il s’inscrit dans la continuité de travaux antérieurs et montre une insertion plus favorable des diplômés d’écoles de commerce avant 2010.
Argan et Gary-Bobo (2023) observaient une baisse des rendements salariaux des diplômés de master entre 1992 et 2017, tous domaines confondus. Si le domaine « droit, économie et gestion » semble partiellement épargné, des écarts persistent. Deux questions guident notre approche : les diplômés d’écoles de commerce « gagnent-ils » systématiquement davantage que ceux des universités ? Et la dégradation salariale a-t-elle affecté davantage les seconds ?
Un retard qui se comble
Nous mobilisons trois vagues de l’enquête Génération du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq) réalisées en 2004, en 2010 et en 2017. Les résultats révèlent une évolution notable. Pour la génération 2004, l’avantage des écoles de commerce est marqué : insertion plus rapide, plus de postes de cadre, meilleurs salaires. Mais dans les générations suivantes cet écart s’atténue, voire s’inverse. Les diplômés universitaires, notamment en sciences économiques, comblent progressivement leur retard. En matière d’emploi et de postes à responsabilité, leur situation devient équivalente, et leurs salaires dépassent parfois ceux des diplômés d’écoles de commerce. Seuls les diplômés en sciences de gestion et de communication restent légèrement en retrait.
Trois facteurs peuvent expliquer cette convergence :
- la professionnalisation croissante des masters, avec une offre repensée et davantage connectée aux entreprises ;
- les compétences en analyse de données, fréquentes dans les cursus en sciences économiques, deviennent un avantage déterminant à l’ère du big data, y compris dans les secteurs traditionnels ;
- l’expansion rapide de l’offre des écoles de commerce s’accompagne d’une hétérogénéité croissante de qualité, côté établissements comme étudiants. Cela pourrait diluer la valeur du signal que constituait jusqu’alors leur diplôme.
Ces résultats, une fois mis en perspective avec l’écart en termes de coût financier parfois très significatif entre les différents types de formations, invitent à une réflexion attentive de la part des familles quant aux critères déterminants dans le choix d’une filière. Au-delà des considérations de prestige ou de réputation, il nous semble opportun de s’interroger sur la nature réelle des bénéfices attendus, au regard de l’investissement consenti.
Nos résultats devront être corroborés dans les années qui viennent, alors que le dernier baromètre de l’Agence pour l’emploi des cadres (Apec) indique un recul de l’emploi des cadres. Par ailleurs, pour estimer le rendement des diplômes des uns et des autres, il conviendrait de suivre les parcours des uns et des autres durant toute leur carrière professionnelle.
Dylan Suaud, stagiaire de recherche au Laboratoire d’économie de Poitiers (LèP), a participé à cet article.
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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.